Sculpteur de l’optique, Nicolas Sassoon propose une rêverie virtuelle ancrée dans le réel. Il utilise le flux numérique qui infiltre les arcanes de notre quotidien. Créations encodées, installations et vidéos redéfinissent l’architecture, de l’espace écran à l’environnement physique, de l’intime connecté à l’abstraction narrative collective, déjouant les perspectives dogmatiques.
Nicolas Sassoon est un sculpteur hors-cadre s’immisçant dans les interstices de notre ère ultra connectée et redéfinit des pans mêmes de l’art, comme l’ont fait les artistes cinétiques un siècle plus tôt. Les premières occurrences de cette plastique font leur apparition au cours des années 1920 dans le Manifeste réaliste et faisaient état de créations basées sur la mouvance de l’œuvre, apparente ou réelle. Le plasticien s’inscrit dans cette veine matérielle d’une optique troublant la vision, poussant le processus jusqu’à la dissolution de la forme dans l’intangible.
Il use des premières techniques de l’imagerie informatique pour esquisser des architectures et des panoramas naturels dans un nouvel espace, celui de l’écran. Le transfert du support de création opère une dématérialisation de l’œuvre, insufflant une démocratisation artistique en lien avec un XXIe siècle numérique. Les pièces de l’artiste prennent souvent comme point de départ des GIF marqués d’une nostalgie pour l’esthétisme des prémices du virtuel. De pixels en pixels, il confectionne de nouvelles perspectives contemplatives qui bâtissent un ailleurs mental tout en évoquant un pointillisme classique. Ce glissement rétinien encode une vision plastique singulière, qui s’étend hors du support écran pour envahir l’espace d’exposition suivant des installations, des sculptures, des vidéos et des textiles. Artiste polymorphe, Nicolas Sassoon emmène le regard dans une brèche dimensionnelle où l’irréel se confond avec le réel.
GIF-er l’art
La genèse de son travail prend ainsi racine dans les lignes invisibles du net-art, tandis que les espaces encodés trouvent leur source dans les réminiscences de l’artiste. Au gré de lieux qui ont compté, il élabore des GIF architecturaux reprenant les trames du réel pour les implanter dans la mémoire informatique. Avec des séries comme Skylight, Avenue, Index ou encore Studiovisit, Nicolas Sassoon façonne des décors où le pixel est à peine dégrossi et la colorimétrie réduit, pour un graphisme épuré mais hypnotisant. Ces pièces dans lesquelles l’internaute peut se promener sont truffées de références plurielles offrant un labyrinthe référentiel personnel, un univers fantasmagorique singulier, glissant vers le collectif de par son accès d’une simple connexion, mais demeure une expérience intime face au support.
Tel un jeu de piste, ces nouveaux mondes screen-based re-matérialisent un inconscient tout en déconstruisant l’essence de l’œuvre d’art dans sa définition classique. Dans cet intangible virtuel, dont nous consommons quotidiennement les outils et parfois de manière conflictuelle, l’humain a déserté ne laissant que des reliquats, des scènes en suspend où le regard scrute le détail, entre fascination et curiosité. Une narration muette qui happe à l’image d’une toile de Hopper, en déstabilisant cependant l’optique par ses effets numériques frénétiques. Ce mouvement incessant entre réalité fantasmée et virtualité concrète, l’artiste en a exploité la substance jusqu’à l’extraire de l’écran pour l’inscrire dans l’environnement physique.
Nos murs pixelisés
Le cadre numérique s’ouvre alors sur l’espace d’exposition et se décuple sur les parois provoquant une déambulation hallucinée. Au cœur du Centre d’Art Bastille à Grenoble en 2013, l’artiste déploie des all-over cinétiques psychédéliques où le glissement de l’eau se cachait dans l’abstraction. Le mouvement cyclique de ces Waterfalls projette une vision fantasmée de la nature dans laquelle la schématisation de l’élément laisse place à une contemplation oisive face à cette cascade infinie de pixels. À l’instar des Mansions, modules immatériels devenant sculptures immergées qui captivent la rétine par sa narration mystérieuse et son minimalisme sublimé.
L’artiste éprouve l’ambivalence réel-irréel encore plus loin avec des projets tels que Signals. Avec cette installation in situ, l’écran est inversé et envahie la pièce pour un retournement de la forme sculpturale qui englobe l’humain. Les murs se transforment en rêverie allégorique d’éléments dansant lentement. Au cœur du dispositif, la place que l’on octroie à la nature est remise en question autant que la transfiguration qu’on en fait par nos actes sociétaux. Quand l’humain dénature son environnement, Nicolas Sassoon le transforme numériquement pour la magnifier et lui rendre une pureté artificielle.
L’immersion est également de mise avec WALLPAPERS, projet collaboratif fondé en 2011 avec Sara Ludy et Sylvain Sailly. Pensé comme un catalogue de tapisseries virtuelles graphiques, Nicolas Sassoon extrapole l’immatériel et le met en espace pour construire une nouvelle architecture faite de projections dont les formes génériques soulèvent les enjeux technologiques qui redéfinissent notre environnement. L’expérience AFK (away from keyboard), inscrite dans ce programme, reprend là encore les épreuves du web pour les incorporer dans le présent matériel. Plongé dans cette architecture immersive, le public interagit directement, bousculant les codes établis. En pénétrant dans ce système informatique augmenté à l’échelle humaine, les segments de chair se confondent presque en entités pixelisées brouillant les limites de la perception, pour une boucle perpétuellement en mouvement entre le concret et l’insaisissable flux numérique. Passerelle entre deux mondes, la poésie plastique qui s’en dégage a un effet contemplatif proche du songe délirant.
Par ses oscillations ir.réelles, Nicolas Sassoon met ainsi en scène la frontière poreuse entre le réel et le virtuel dans notre société par le prisme de formes plastiques se renouvelant sans cesse, opérant un art augmenté interdisciplinaire, et agite des réflexions sur notre monde connecté.
Crédit images — Nicolas Sassoon